4 novembre 2009 Histoire jeu de Dames Quebec

Association québécoise des joueurs de dames


UN PEU D'HISTOIRE - JEU CANADIEN (144 cases)

Une légende veut que le jeu de dames canadien ait été introduit chez nous par un voyageur qui, après l'avoir découvert en Europe, tenta de le reproduire ici, en ajoutant vraisemblablement une rangée de cases supplémentaire tout autour. Ainsi plutôt que de comporter 100 cases (10 X 10), le jeu de dames pratiqué ici a surtout été le 144 cases (12 X 12). On appelle donc ce dernier, le jeu de dames canadien, qui fut très populaire au sein de la communauté francophone du Québec, de l'Ontario et de la Nouvelle-Angleterre. Le jeu canadien se joue avec les mêmes règlements et tirerait son origine du jeu à 100 cases, aussi appelé le jeu dit à la polonaise, qui fit son apparition en France (ou aux Pays-Bas) au début du XVIIIe siècle.

Voici cependant quelques informations supplémentaires de l'historien E.-Z. Massicotte, qui publia une Historique du jeu de dames canadien dans le Manuel du Jeu de Dames Canadien (par Joseph-O. Roby en 1922). Il apporte une autre version de l'introduction du jeu 144 cases au Canada:

"La polonaise étant introduite en France vers le premier quart du XVIIIe siècle, a pu nous être importée par les soldats ou les colons français venus au Canada entre 1727 et 1760, ou bien par quelques mercenaires de l'armée anglaise ou quelques colons après la cession, ou, enfin, par les régiments de Meuron et Watteville venus en 1812. Il semble bien que le jeu de dames était connu à Montréal en 1739 au moins, puisque Jean-Pascal Soumande, né à Montréal en 1704 et marié en cette même ville en 1726, étant à Paris par affaire, en décembre, janvier et février 1739-40, allait au café chaque jour et jouait aux dames avec un ami. C'est même en revenant de "faire la partie" qu'il trouva la mort! Il était six heures du soir, le 7 février 1740, lorsque son ami et lui quittèrent le café. Les rues étaient fort glissantes par suite de la gelée. Soumande perdit tout à coup l'équilibre et alla heurter un officier qui passait. Aussitôt celui-ci tira son épée. Soumande sortit aussi la sienne, mais avant qu'il fut en garde, il reçut un coup au bas ventre et tomba par terre... On ramassa le blessé et on le transporta chez un chirurgien où il mourut sans pouvoir dire une parole. Dans le brouhaha que causa cet événement tragique, l'officier put disparaître sans laisser de traces. (1)

Et maintenant se pose la question: à quel jeu de dames, l'infortuné Soumande jouait-il? à l'ancien jeu français (64 cases) ou à la polonaise? J'opinerais volontiers que ce devait être à l'ancien jeu, car il n'y a pas d'apparence que la polonaise sur 100 cases ait été connue ici avant le XIXe siècle. Ou bien, si notre compatriote jouait à la polonaise, il l'avait apprise au cours de son voyage. En tout cas, une preuve que le vieux jeu français avait des adeptes au Canada, c'est qu'il n'y a qu'ici qu'il porte encore le nom de jeu franc (2), diminutif de jeu français par opposition ou pour le distinguer du jeu dit à la polonaise. Néanmoins, un fait me préoccupe: au cours de mes travaux dans les documents judiciaires et notariaux, je n'ai pas encore aperçu mention du jeu de dames! Pourtant, j'ai lu nombre d'inventaires du XVIIe, du XVIIIe et du début du XIXe siècle, et j'y ai constaté qu'on possédait des jeux de cartes, de solitaires et de trictracs.

Entre les hypothèses invérifiables que l'on peut offrir sur l'origine du jeu canadien, il en est une qui a quelque chance d'être plausible. Les régiments de Meuron et de Watteville se composaient presqu' exclusivement de Suisses, de Belges, de Français et de Polonais, c'est-à-dire de gens originaires des pays où l'on jouait la polonaise sur les damiers de 100 cases et même de 144 cases (3). Et ces soldats qui devaient avoir besoin de s'amuser pour rompre la monotonie de la vie de garnison ne pouvaient dédaigner un jeu en vogue dans leurs patries respectives. Ce qui ajoute encore à la vraisemblance de cette hypothèse, c'est que les régiments en question furent licenciés en ce pays, que plusieurs de leurs soldats épousèrent des Canadiennes et s'établirent dans la région montréalaise. Or, c'est précisément dans notre partie de la province de Québec que le jeu canadien semble avoir pris naissance. Il y a là, au moins, une remarquable coincidence!."

(1) Bulletin des recherches historiques, 1910, p. 271
(2) Le jeu franc est maintenant appelé le jeu anglais (checkers)
(3) Un passage de l'introduction du Traité du Jeu de Dames par Van Damme, publié à Gand, Belgique, en 1871, ne laisse aucun doute sur ce fait. Voici ce qu'on y lit: "On a encore introduit le jeu de dames sur un damier de 144 cases, nommé le damier double. Chaque partner ayant 30 pions. Celui-ci est incontestablement plus compliqué que le jeu moderne et il offre des combinaisons bien plus étendues, mais le damier à 100 cases présente déjà tant de ressources qu'on ne parviendra jamais à en connaître tous les artifices". - Balédent, Le Damier, vol. III, p. 722.

Massicotte mentionne les noms suivants parmi les étoiles du damier d'avant 1875: "les forts joueurs d'alors étaient Joseph Lecompte, marchand de cuir, J.-B. Blais, Xavier Millaire, ex-champion de Saint-Hyacinthe, venu s'établir à Montréal, et Henri (dit Honoré) Contant. Celui-ci semble avoir joui d'un prestige considérable pendant plusieurs années."

Le premier champion, couronné dès 1869, fut le Montréalais Alexandre-Agapit LANGEVIN, commerçant de la rue du Collège, mort au mois de juillet 1915 âgé de 80 ans.

Ce fut le début des années de gloire du damier canadien. Combien de fois a-t-on vu nos parents ou grands-parents le damier sur les genoux? Cette popularité du jeu allait cependant s'estomper lentement après la 2e guerre mondiale.

Plusieurs titres ont été mis en jeu: Canada, Montréal, Province, Amérique, Monde. Comme le jeu à 144 cases était pratiqué uniquement en Amérique, on en vint à adopter l'appellation "Champion d'Amérique", titre déterminé presqu'exclusivement par voie de match opposant le champion à un aspirant. Ce titre fut joué presqu'à tous les ans jusqu'en 1968, année où il fut abandonné.





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